[Interview] IA : de la transformation digitale à la transformation data

Dans une salle, une collaboratrice anime une réunion avec une tablette sur laquelle on voit des graphiques

A l’occasion de la conférence « Intelligence Artificielle, responsabilité numérique, guerre des talents… Équation insoluble ou trio gagnant ? » le Blog de UKG a eu l’opportunité d’interviewer les organisateurs : Didier Carré, le Président de l’Institut G9+ (qui représente plus de 50 000 professionnels du numérique) et Ana Semedo, responsable de son cycle IA.

UKG : Qu’est-ce qui a motivé l’Institut G9+ à organiser cette conférence ?

Didier Carré : Dans ce contexte de guerre des talents, il y a un problème concernant les nouvelles compétences nécessaires à acquérir, mais aussi un problème de flux de compétences. Nous assistons à la chute des options scientifiques au Baccalauréat, il y a peu de femmes dans la tech… Nous allons cruellement manquer de compétences alors qu’il y a un vrai besoin. C’est une situation critique. Nous réfléchissons constamment à ces sujets, mais l’an dernier, le contexte a changé : la GenAI a fait son arrivée. Il faut y voir des opportunités, mais aussi des menaces, notamment d’un point de vue environnemental.

Ana Semedo : Au niveau de l’enseignement, on lit un peu partout que ChatGPT peut faire le travail à la place des étudiants. Mais on oublie aussi de dire que l’IA va aider à l’apprentissage, notamment en le personnalisant. En effet, nous n’apprenons pas tous de la même manière, la courbe de progression varie d’un individu à un autre, etc. L’IA ouvre complètement le spectre des possibilités. Parallèlement, pour accompagner ces changements, il faut que des enseignants alimentent, entraînent l’IA. Et ce, afin que l’on puisse véritablement utiliser l’adaptive learning, c’est-à-dire l’IA qui permet de s’adapter à l’apprentissage de chacun. 

Puis, du côté du monde de l’entreprise, on a tendance à dire aujourd’hui que les jeunes ont un avantage par rapport aux seniors. Je pense que cet avantage peut être très temporaire. Je suis convaincue que l’IA générative est une opportunité pour les seniors. Il faut que l’on crée les interfaces qui permettront de rendre cette technologie accessible au plus grand nombre.

Enfin, il y a un sujet autour de la confiance. Dans la confiance, il y a la "confiance dans l'IA", donc confiance en soi, confiance dans les autres, confiance dans l'IA.

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UKG : Entre les perceptions d’une IA destructrice d’emploi et d’une IA qui permet à l’humain de se concentrer sur sa valeur ajoutée (créativité, innovation), où placer le curseur ?

D. C. : Il fut un temps où nous avions des pièces entières d’assistant•es qui tapaient à la machine. Tout ça, ça a disparu. Est-ce qu’on le regrette ? Nous faisons beaucoup plus de choses par nous-mêmes. Indirectement, le numérique nous a fait travailler plus. Notre erreur selon moi, c’est d’avoir nommé cette technologie « intelligence artificielle ». Cela n’a rien de neuronale, ça fonctionne comme une matrice mathématique. Il y a un imaginaire qui rend les choses floues.

A. S. : Quand l’IA a fait son apparition, nous avons eu les mêmes réactions qu’à l’arrivée de l’informatique ou du numérique… A chaque fois, nous nous sommes dit que ces nouvelles technologies allaient remplacer l’humain. La GenAI n’a pas échappé au phénomène. Les entreprises quant à elles, avec leur modèle de croissance et de productivité, se sont basées sur un seul modèle de représentation : associer l’IA à davantage de productivité.

Et cela n’a pas laissé d’espace pour orienter la réflexion vers l’intelligence augmentée. Intelligence artificielle vs Intelligence augmentée sont deux visions qui s’affrontent depuis les années 1950. La première propose une approche extrêmement productiviste quand la seconde propose, un peu comme avec des lunettes, de mieux voir. Si l’IA nous permet de gagner un temps fou, c’est bien l’humain qui donne l’impulsion, qui reste à l’origine de son projet. ChatGPT peut rédiger un courrier ou autres, mais c’est un humain qui donne des directives, partage des intentions.

UKG : On parle souvent des biais de l’IA. Aussi, comment faire de l’outil un allié de l’entreprise, notamment sur le plan de l’équité, le recrutement ou la gestion des carrières ?

A. S. : Les entreprises commencent à prendre des LLM avec des systèmes maîtrisés verticaux spécialisés, entraînés sur des données plus variées. Il y a un vrai travail à faire en amont sur le choix des données et sur l’explicabilité des algorithmes utilisés. Les banques se posent déjà la question, notamment pour l’octroi des prêts et crédits par exemple. Mais l’IA responsable, à ce stade, est encore un fantôme. Quelle est la responsabilité du développeur qui crée l’algorithme ou celle du RH qui va l’utiliser ?

Au niveau du recrutement, lorsqu’une entreprise reçoit 2 500 candidatures par jour, nul doute, l’humain ne peut pas gérer cette tâche rapidement. En amont, on peut donc compter sur l’IA pour faire le traitement de masse. Ensuite, c’est une personne qui va travailler et recruter. Par rapport aux softskills, j’ai des doutes quant à l’utilisation de l’IA. Cela reste un sujet plus complexe, car l’IA va donner des réponses selon un cadre donné. Si celui-ci n’est pas bon, les résultats seront incertains.

UKG : Data, conformité et adaptabilité rapide. Les entreprises peuvent-elles résoudre cette équation à trois variables ? Sont-elles vouées à subir ?

A. S. : Il y a des entreprises qui ont une gouvernance data plutôt correcte, mise en place depuis plusieurs années. Aujourd’hui, ceux qui n’ont pas structuré leurs data se rendent compte qu’ils ont un retard à combler. Une chose est certaine : pas de data, pas d’IA. Encore récemment, on parlait surtout de transformation digitale. Désormais, les entreprises vivent la transformation data, probablement plus que la transformation IA. Car la transformation data est sous-jacente et elle traverse toute l’entreprise. Et je pense que c’est une opportunité.

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