Gastronomie et reconversions professionnelles :
l'état des lieux de l'Ecole Ducasse

De gauche à droite : Elise Masurel, Directrice Générale École Ducasse, Carole Pourchet, Directrice générale Majorian / Les Collectionneurs, Frédérique Triquet, Cheffe et Alain Ducasse, Chef.

L’École Ducasse a publié le 3 octobre dernier son livre blanc « La Gastronomie, territoire privilégié des reconversions professionnelles ». Si le secteur de l’hospitalité rencontre des difficultés à recruter et à fidéliser les talents, force est de constater que les candidats prêts à tenter l’aventure semblent de plus en plus nombreux. Entre 2020 et 2022, l’École Ducasse a enregistré une croissance du nombre d’inscrits de 288 % en moyenne ! Les métiers de la gastronomie ont visiblement le vent en poupe. Mais qui sont ces reconvertis ? Constituent-ils réellement un vivier potentiel de candidats pour la restauration ?  

Portrait-robot d’un reconverti professionnel dans la restauration

Les métiers manuels et de l’artisanat connaissent un regain d’intérêt de la part des collaborateurs, et notamment des cadres. 46 % d’entre eux souhaiteraient se reconvertir dans cette voie (60 % des cadres dirigeants), selon le rapport Les grandes tendances du marché du travail réalisé par l’Ifop en 2022. Si « les cols blancs se lancent avec l’envie de changer de style de vie, d’être proche du produit, d’opter pour un métier manuel qui a du sens, [néanmoins], ils ne se lancent pas sans avoir fait leurs calculs. C’est à la fois un projet de vie et un projet économique », précise Elise Masurel, Directrice Générale École Ducasse. Au sein de cet établissement, il est à noter que ce sont surtout les femmes qui franchissent les portes. Elles représentent 64,5 % des inscrits. Un phénomène qui s’explique car « elles ont plus rapidement la sensation d’atteindre le plafond de verre donc la seule possibilité d’évoluer professionnellement pour elles est de se reconvertir », déclare Aurélie Gonnet, Enseignante chercheuse en sociologie de la formation. Les étudiants entre 22 et 40 ans représentent 62 % des effectifs et s’orientent généralement vers des formations comprises entre 6 et 8 mois. Quand les plus de 40 ans (17,5 % des inscrits) optent à 53 % pour des formations courtes et intensives de 2 mois. Mais attention, prévient Marion Amacker, directrice associée Hospitality & Luxury chez Morgan Philips, « formation courte ne rime pas avec choix précipité. La décision est le résultat d’un processus long, réfléchi et mûri. »

Un contexte propice à l’arrivée de nouveaux talents sur le marché du travail

83 % des restaurateurs rencontrent des difficultés à recruter. Depuis 2021, 150 000 collaborateurs auraient quitté le secteur de l’hôtellerie et la restauration. Quand 200 000 à 300 000 emplois étaient à pourvoir en 2022 (UMIH). A n’en pas douter, les reconvertis professionnels représentent une aubaine. « Ce nouveau vivier de ressources, aux profils variés, va enrichir le secteur de ses compétences et pallier les nombreuses démissions post-Covid », peut-on lire dans le livre blanc. « Les reconvertis ont beaucoup à apporter, il faut le voir comme du donnant-donnant. Ils ont cette expérience, cette richesse préalable. Et je pense que l’industrie va continuer à évoluer grâce à des profils comme ça qui observent, s’adaptent, font preuve de résilience et de patience, et qui ont beaucoup de choses à apprendre au métier », analyse Marion Amacker.

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Et Carole Pourchet, Directrice générale Majorian / Les Collectionneurs d’ajouter : « C’est un secteur qui a un manque de main d’œuvre très important et donc il y a d’une part des débouchés rapides, et d’autre part, c’est un formidable ascenseur social, et ça on ne le dit pas souvent. Dans nos métiers, on peut commencer commis de salle ou de cuisine et finir par gérer sa propre maison. C’est l’un des rares métiers où vous avez cette capacité de progression qui peut être très rapide, si on en a envie et du talent. »

Le chef cuisinier Alain Ducasse poursuit : « Dans tous les métiers aujourd’hui pour réussir, - parce qu’il y a de la compétition partout -, il faut travailler davantage, plus vite, mieux. Il ne faut pas dormir, être éveillé, car la compétition est mondiale : on mange aussi bien à Londres qu’à Paris. Le talent est partout. La formation, c’est une boîte à outils. On vous donne quelques instruments pour mieux appréhender le métier dans les diverses manières que vous pouvez l’aborder. Si ça tombe juste, la reconversion vous permet de réussir et de vous faire plaisir. Je crois vraiment que ceux qui font le choix de la reconversion en écoutant un peu quelques conseils vont réussir à se faire plaisir, à gagner leur vie et cela n’est pas rien dans le monde d’aujourd’hui. »

L’amélioration de l’Expérience collaborateur dans l’hôtellerie-restaurant : de la prise de conscience à la mise en œuvre  

Les reconvertis arrivent également à une période de remise en question des politiques des ressources humaines et managériales pratiquées jusqu’alors. Face aux conditions de travail difficiles - « Rester debout, travailler de longues heures sur des plages horaires morcelées, faire face au stress du coup de feu… Toutes ces conditions peuvent parfois mettre à l’épreuve le physique et le mental des reconvertis » -, le secteur se mobilise. Amplitudes horaires revues et corrigées, limitation des coupures pour permettre des journées de travail en continu, adoption de la semaine de quatre jours, rémunération à la hausse, intéressements… sont tout autant d’avantages concédés ces derniers mois pour améliorer la qualité de vie au travail, attirer de nouveaux profils et fidéliser les collaborateurs.

« Nous cherchons à mettre les équipes dans leurs meilleures dispositions, en offrant un cadre de travail détendu, sérieux, bienveillant et adaptable en fonction des aspirations et appétences de chacun », déclare Antoine Micouin, chef du restaurant Hiru.

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Et la tendance d’une amélioration significative de l’expérience collaborateur a de beau jour devant elle. Et pour cause, parmi les candidats à la reconversion, nombreux sont ceux qui ont « la volonté de faire mieux que les managers qu’ils ont rencontrés au fil de leur parcours professionnels. Ils sont très demandeurs de nouvelles approches managériales, clés de leur réussite ». Carole Pourchet précise : « Ils veulent apprendre à former leurs équipes, développer les talents, favoriser le bien-être de leurs collaborateurs et communiquer de façon assertive. »

Combien de temps les reconvertis professionnels restent-ils en moyenne dans le secteur de la gastronomie ? Ça, l’étude ne le dit pas. « Soit les personnes décident de ne pas aller dans leur projet après la formation, soit elles y vont à fond. C’est la majorité, car c’est une longue réflexion », conclut Elise Masurel.