La fonction RH, une histoire de bonnes femmes ?

Au sein d'un open space, deux femmes discutent devant un ordinateur

La fonction RH est peuplée aujourd’hui par 84% de femmes, selon la dernière étude de Culture RH. Il me semblerait donc logique d’étudier de près cette donnée sociologique dans les ouvrages et articles consacrés à la fonction, et pourtant… presque rien. Le RH reste un “il”, et est toujours aussi mal connu, notamment du grand public. 
Je me suis donc posée plusieurs questions : quelle est l’histoire de la fonction RH ? Les RH ont-elles toujours été des femmes ? Si non, quels ont été les facteurs de changement ? Et enfin, quelles sont les implications de cette sur-représentation des femmes dans la fonction  RH ?

L'histoire de la fonction RH

Notre frise chronologique commence au début du siècle dernier. La révolution industrielle et l’arrivée du taylorisme dans les usines ont fait passer les travailleurs de la position d’artisan indépendant et autonome à ouvrier pris par la main et “paterné” par le chef d’entreprise. Les premiers chefs du personnel sont recrutés pour le seconder, souvent ce sont d’anciens militaires, appréciés pour leur sens de l’ordre et de la discipline. Les RH sont des gardiens de la paix sociale. 

Après la Seconde Guerre, de grandes lois sociales voient le jour, avec l’inspiration d’Elton Mayo et ses travaux dans les années 1930 sur les conditions de travail. Ces derniers permettent le constat suivant : lorsqu'on s’occupe des gens, ils et elles travaillent mieux, car la considération est importante pour leur bien-être. Oui, ça date de si longtemps que cela. C’est la montée en puissance des syndicats et l’apparition des représentants du personnel. Des juristes sont recrutés pour seconder les anciens militaires et gérer les relations sociales avec les syndicats. 

Arrivent les Trente Glorieuses, et la structuration de la fonction Ressources Humaines. Le but est de conseiller et contrôler, en recrutant et accompagnant le personnel au mieux. Des psychologues viennent en renfort des équipes de gestion du personnel. 
La crise économique et le chômage de masse des années 1980 viennent compliquer la mission des services RH. Viennent s'ajouter prérogatives sur prérogatives. La fonction RH devient vraiment stratégique. Des profils davantage orientés comptabilité aident à traverser cette période difficile. La fonction RH se professionnalise et se complexifie. 
Dans les années 1990, les premières véritables formations RH apparaissent, et la fonction commence à ressembler à celle que l’on connaît aujourd’hui, avec des RH en possession d’un diplôme et de plus en plus de prérogatives. 

Au cours des années 2000, la fonction s’enrichit, et se retrouve progressivement responsable de… tout, ou presque. Et la place des femmes dans tout ça ?

La féminisation de la fonction, indissociable de sa dimension sociale

Dans cet aperçu historique, on voit des hommes partout : anciens militaires, juristes, psychologues, comptables… Mes recherches parlent d’une féminisation véritable de la fonction à partir des années 1990, quand les formations RH apparaissent. 
Mais pourquoi pas avant ? 

Au sortir de 1945, la fonction de chef du personnel prend une dimension sociale, davantage dans le soin, l’accompagnement, l’écoute… Et c’est aussi à partir de cette période que les femmes sont arrivées massivement dans le monde du travail. Pendant la guerre, elles avaient tout géré pendant que les hommes étaient au combat, alors maintenant, ces dames veulent travailler aussi. Je pense que tout démarre vraiment là. Et avec la résistance, elles ont bien montré de quoi elles étaient capables. Mais le terrain du travail à l’extérieur de la maison est tout de même occupé par des hommes, et les femmes ont à peine le droit de vote…

Nous constatons aujourd’hui que les femmes ont tendance à occuper bien plus que les hommes les fonctions d’assistanat, au service bien souvent d’un homme. Dans les années 1950 et début des années 1960, les femmes avaient encore besoin de l’autorisation de leur mari pour travailler. Je pense qu’il a dû y en avoir beaucoup, des femmes propulsées assistantes de direction multi-tâches, pour assister leur mari, qu’il soit dirigeant ou chef du personnel. Les premières assistantes RH ? L’oreille attentive, la maman de l’entreprise ? Difficile de trouver des preuves, mais… Ne serait-ce pas logique ? 

La fonction RH s’est certainement féminisée de plus en plus au fil des décennies, mais jusqu’à il y a peu, on observait une réalité : ces dames sont assistantes RH, ces messieurs sont DRH. Il y a encore quelques années, nous étions sur un ratio de 60% d’hommes pour 40% de femmes DRH. Étrange dans une fonction dominée démographiquement par les femmes. Ce chiffre tend à diminuer au profit des femmes, sauf dans les entreprises du CAC 40, qui compte encore 75% d’hommes DRH (dans la cinquantaine généralement, avec un profil financier ou ingénieur en priorité, 40% n’ayant aucune expérience RH avant leur prise de poste). 

Les femmes gagnent progressivement du terrain dans la fonction RH, mais les médias sont toujours monopolisés par la présence de ces hommes DRH du CAC 40. Peut être est-ce pour cela que l’on dit encore “Le RH, il”...? 

Avec les formations diplômantes RH officielles des années1990, les femmes gagnent en légitimité et gravissent les échelons. Cantonnées tout de même à cette fonction “de bonne femme”, surtout dans les PME. 

Car dans les petites entreprises, c’est une réalité bien différente que dans les grands groupes : nombre de sociétés ne comptent pas de DRH, cette fonction pouvant être endossée par le dirigeant ou le DAF, et le service représentée par une assistante RH, que personne n'imaginait posséder un chromosome XY. J’ai occupé ce type de poste et observé la “concurrence” : 50 candidatures féminines pour un homme ou deux, et encore ! 

Les Ressources Humaines, on peut se dire que c’est un bon métier pour les femmes : n'ont-elles pas "naturellement" ce côté empathique, le sens de la maternité, douceur, organisation… Bon, bien sûr, quand il s’agira de prendre des décisions importantes ou de négocier de façon musclée, on fera appel à ces messieurs. Aux femmes la gestion du quotidien, aux hommes la prise de décisions stratégiques. Est-ce que ce sera toujours comme ça ? 

L'expérience collaborateur des RH aujourd’hui, une histoire de bonnes femmes ?

Les femmes ont tendance à choisir la fonction RH en se retrouvant devant le triptyque classique des études de gestion : finance, marketing ou RH, le choix fatidique.  
De nombreuses RH me l’ont raconté dans mon podcast, "les RH de la Vraie Vie" : ces femmes ont fui le business et ont choisi les RH pour l’aspect “humain” de la fonction, pour accompagner les salariés, voire aider les gens. 

C’est mon histoire aussi : je voulais à l’origine devenir assistante sociale, mais effrayée par la difficulté des cas auxquels j’aurais pu être confrontée, j’ai pensé (à tort), que les RH me permettrait d’aider les gens à régler leurs problèmes, au sein de l’entreprise. 

Cependant, l'aspect business est partout, et dans les RH aussi où il reste souvent l'apanage des hommes. Les femmes en voulant s’éloigner de l’aspect financier et business, ont été éloignées des sphères décisionnelles. Et se retrouvent dans la posture de la maman de l’entreprise, voire de la bonne à tout faire. Combien de RH m’ont raconté devoir s’acquitter de tâches n’ayant rien à voir avec leur fiche de poste ? Aider un collaborateur à déclarer ses impôts, acheter des billets de train, faire une réservation de restaurant pour un manager, imprimer pour la 50ème fois des bulletins de salaire, voire réparer l’imprimante du service…

Car bien souvent en entreprise, particulièrement dans les petites, règne la règle du “tu sais pas ? Demande à la RH”. Au détriment de ces femmes qui se retrouvent dans une posture d’assistanat de toute l’entreprise, et à qui on va dire “mais tu le fais si naturellement, c’est un rôle parfait pour toi !” 

Le pouvoir est-il forcément masculin ? 

Les choses changent, mais lentement. En parler, c’est un bon début. Travailler sur l’expérience collaborateur des RH, c’est urgent. 

Les RH ont besoin, comme les autres, d’être accompagnées, managées, soutenues, formées. Au prétexte qu’elles portent tout le monde sur leurs épaules, les RH sont souvent livrées à elles-mêmes. Et souvent même, refusent l’aide qui peut leur être proposée. Elles sont si habituées à tout gérer, qu’elles ne pensent même pas à appeler à l’aide quand ça ne va pas. D’où certainement le chiffre écrasant du nombre de burnouts dans la fonction RH. 

Je les vois, ces femmes RH, n’avoir aucun budget de formation, et passer leur pause de midi, un sandwich à la main, à assister aux webinaires gratuits des cabinets d’avocats pour se former aux nouvelles règlementations, avoir une augmentation de salaire de 2% tous les 15 ans et n’avoir jamais obtenu un entretien professionnel avec leur N+1. N+1 qui est potentiellement le dirigeant de l’entreprise, et qui ne connaît rien aux RH…Et ne peut donc pas les aider. Ni les comprendre. 

Les RH ont besoin d’être (re)connues, pour que le métier puisse évoluer. L’émancipation des femmes a encore des défis à relever. Les femmes RH, aussi. 
L’image des RH a besoin de changer. Je suis persuadée qu’il existe une corrélation entre féminisation du métier et dévalorisation de celui-ci. Tout ce qui a trait au féminin n'a-t-il pas tendance à être déconsidéré dans notre société ? Le féminin est vu comme faible, le masculin, valorisé est vu comme fort.

La fonction RH peut alors être perçue comme peu importante. De “grands DRH” n'y ont-ils pas fait un passage éclair avant de rejoindre d’autres fonctions dites plus prestigieuses ? Les femmes RH gravissent les échelons, mais le plafond de verre est toujours là, il s’est simplement déplacé. 

Nous manquons de femmes DG, PDG, directrices financières, mais nous manquons surtout d’un modèle de société nouveau qui ne donnerait plus de place à l’Humain. En faisant évoluer notre modèle sociétal, nous ferons aussi évoluer la place des femmes. C’est un cercle vertueux pour les femmes RH et toutes les autres. Alors en ce 8 Mars, journée symbolique pour les femmes, on s’y met ? 

Sources : 
https://misterprepa.net/les-femmes-et-le-marche-du-travail-depuis-1945/
https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/rh-entreprise-solution-parler-peur-relations-travail
https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/direction-rh-femmes-parite
“Peut on réanimer les RH ?” de Joseph Musseau et Jérôme Musseau