[Interview] Jean-Claude Douthe : expert en excellence opérationnelle,
tel est son nom de code !

Jean-Claude Douthe, expert international de l'excellence opérationnelle

Consultant en performance industrielle, Jean-Claude Douthe est un expert international de l’excellence opérationnelle. Celui qui depuis quarante ans accompagne les organisations à travers le monde pour leur permettre de booster leurs performances publie « Les conditions de l’Excellence (Tome 1 – Renverser la spirale descendante par l’approche holistique de l’Excellence opérationnelle) ». Au fil des pages, il partage des retours d’expérience, des analyses ainsi que des conseils. Et il rappelle à ceux qui en douteraient encore que l’humain reste le maillon essentiel pour atteindre l’excellence. Rencontre !

Jean-Claude Douthe, quelle est votre définition de l'excellence opérationnelle ?
Jean-Claude Douthe :
L’excellence opérationnelle, c’est la capacité à consacrer la ressource juste nécessaire à la valeur ajoutée.

Selon vous, quels sont les freins des organisations pour atteindre cette excellence opérationnelle ? Au cours de votre carrière, avez-vous identifié des tendances, des invariants d'une structure à l'autre ?
J-C. D :
Bien que les personnes soient de bonne volonté – et je pense que les opérateurs aussi bien que les managers opérationnels ou les agents de maîtrise sont à 95 % des gens de bonne volonté –, ce qui freine c’est la confusion dans laquelle elles se trouvent. Il y a des complexités que seules les personnes qui sont en contact du terrain connaissent, mais que les managers, eux, ne savent pas. Et réciproquement, les managers ont une vue d’ensemble que les personnes du terrain n’ont pas. Ces réalités ne parviennent pas à communiquer et à se comprendre au quotidien. Je l’ai constaté dès le début de ma carrière. Et je me suis tout de suite demandé comment des gens qui sont dans la même équipe n’arrivent pas à travailler ensemble alors qu’ils ont le même but ?

Maintenant, on n’apprend plus à observer, nous voulons souvent aller trop vite. En Occident, la culture du pompier prime. Nous voulons passer à l’action sans avoir identifié les causes. Nous sommes impatients. Conséquence : nous dépensons beaucoup d’énergie à agir sur des actions qui ne vont pas dans le bon sens.

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Depuis quelques années, le concept de productivité est challengé. Je pense par exemple à l’économiste Laëtitia Vitaud qui a publié « En finir avec la productivité ». Est-ce compatible avec l’excellence opérationnelle dont le principe reste de booster la productivité ? Est-ce contradictoire ? Quelle est votre vision ?
J-C. D :
Les concepts ne s’opposent pas, au contraire l’innovation c’est de parvenir à les combiner. La productivité est nécessaire, c’est elle qui donne la performance aux entreprises. Mais ça ne doit pas se faire au détriment de l’humain. Ça se fait avec lui, en enlevant le gaspillage et en se concentrant sur la valeur ajoutée. Lorsqu’on enlève les manutentions inutiles, on améliore la sécurité au travail et on augmente la productivité parce qu’on se concentre sur des choses utiles. Et ça rend le travail plus intéressant. Il est plus stimulant de créer de la valeur ajoutée que de déplacer des châteaux de sable, non ?

Dans votre livre, vous consacrez un chapitre à la maîtrise de la variabilité des processus, c’est-à-dire lorsque la performance d’un processus est fluctuante que ce soit au niveau de la qualité ou des délais ; et qu’il est nécessaire d’apporter des améliorations pour servir au mieux la stratégie et les performances globales. Comment les directions et/ou le management peuvent-ils prendre en compte ces variabilités ?
J-C. D :
Il faut voir le fonctionnement des processus dans le détail et mesurer ces variabilités. Et pas uniquement dans des processus industriels. Dans mon livre, je partage l’histoire de ce directeur de production qui faisait son chiffre d’affaires les trois derniers jours du mois. La facturière se retrouvait à traiter une importante quantité de documents sur une très courte période. Elle avait alors une lourde charge de travail. Puis, la première quinzaine du mois suivant, elle était complètement désœuvrée. Quand j’ai pris la responsabilité de production, j’ai tracé ma courbe et déclaré que nous allions désormais réaliser par jour le 20e du chiffre d’affaires mensuel. Résultat, à la fin de la troisième semaine, nous avions réalisé le chiffre d’affaires du mois. Puis, nous avons fini par le dépasser et avons été en capacité de rattraper le retard du carnet de commandes. De son côté, la facturière a travaillé régulièrement tout au long du mois de façon sereine et sans urgence. Quand on s’intéresse au fonctionnement des processus, on élimine les variabilités.

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On voit bien dans votre exemple qu’en maîtrisant les variabilités des processus, on améliore les conditions de travail, la productivité et les performances. Quels sont les autres bénéfices que l’on peut observer ?
J-C. D :
Ils sont multiples. D’abord cela permet de réduire les investissements de capacité (accroître la capacité de production d'une entreprise, NDLR) puisqu’on obtient plus de régularité. Ensuite, au niveau RH, on peut faire appel à moins d’intérimaires pour gérer les pics de variabilité, les conditions de travail des salariés sont supérieures. Le compte d’exploitation est également meilleur, car on peut planifier. Il existe alors peu d’écarts entre ce qu’on prévoit et ce qu’on réalise. Les choses deviennent prédictibles, on peut donc mieux gérer sa trésorerie par rapport aux entrées et sorties d’argent. On a aussi moins de stress, autant chez les opérateurs, managers, agents de maîtrise qu’au niveau de la direction. Les équipes sont alors plus disposées à faire des suggestions d’amélioration et de la résolution de problèmes plutôt qu’à faire des actions d’urgence.

Vous êtes attaché aux données et à leurs analyses. Quels seraient pour vous les KPI à retenir ?J-C. D : Je préfère utiliser la notion d’indicateur physique plutôt que KPI – car « physique » induit qu’il y a une connexion au terrain, et à la réalité des choses. Par exemple, beaucoup de managers mesurent la performance des machines en TRS (taux de rendement synthétiques), mais c’est un pourcentage. Si la machine d’un opérateur, un technicien ou un agent de maîtrise s’arrête pendant une heure, celui qui pilote l’engin va prendre en compte un indicateur temps, et non un pourcentage. Avec les indicateurs physiques, on a une meilleure gestion de son environnement. C’est ainsi que l’entreprise devient en quelque sorte une somme de PME – des équipes de 8 à 10 personnes – dans lesquelles les gens sont motivés.

Vous avez quarante ans d’expérience dans l’excellence opérationnelle. Qu’est-ce qui vous a motivé tout au long de ces années ?
J-C. D :
Premièrement, j’aime les personnes. Je travaille pour elles. Deuxième chose, je suis payé par mon employeur qui lui-même ne peut être payé que parce que les clients sont satisfaits. C’est une reconnaissance. J’ai pas mal bataillé avec des managers qui avaient des visions plus traditionnelles, mais ça a toujours été des expériences enrichissantes et positives. Tout au long de mon parcours, j’ai pu démontrer la validité de mes idées sur le terrain. Ça m’a encouragé à avancer, à progresser et à partager mon expertise.

Que souhaitez-vous aux entreprises pour 2023 ?
J-C. D :
J’aspire à ce que les gens lisent mon livre, comprennent les messages et les mettent en œuvre pour en bénéficier sur le compte d’exploitation, la qualité des relations dans l’entreprise, la satisfaction du personnel, l’amélioration des conditions de travail, l’amélioration de la qualité et du taux de service etc. Je souhaite que les entreprises améliorent leurs performances et entrent dans une spirale positive de croissance et d’embauches.