[Interview] Transport de marchandises : enjeux écologiques et digitaux
Le secteur du transport de marchandises en France opère une véritable mutation. Au programme : Transition écologique et énergétique. Transformation digitale. Pénurie de chauffeurs… Pour faire le point, nous avons échangé avec Aurélien Barbé, Délégué général du Groupement national des Transports Combinés (GNTC), une organisation professionnelle (fédération d’entreprises), qui représente tout le secteur du transport combiné (rail/route ou fleuve/route).
Quels sont les enjeux prioritaires du secteur du transport de marchandises ?
Aurélien Barbé : Dans le secteur du transport de marchandises, l’enjeu principal en France est de réussir la transition écologique et énergétique. Cela concerne le transport routier, à travers les nouvelles motorisations, notamment l’électrique. Le deuxième enjeu complémentaire, c’est de réussir le report modal vers le ferroviaire et le fluvial. C’est-à-dire massifier davantage de flux pour faire du transport multimodal (du transport combiné) qui utilise moins de route, et plus de transport ferroviaire et fluvial.
Du point de vue ferroviaire, l’objectif, inscrit dans la loi, est de doubler la part modale d’ici 2030. On est environ à 9 ou 10 % de part modale en France (la moyenne européenne est de 18 %). L’objectif est donc de passer à 18 %. Il faut comprendre qu’à l’heure actuelle, la part modale de la route est autour de 86 voire 87 %, quand le fluvial atteint 2-3 %.
La transformation digitale est-elle un enjeu ?
A. B. : Bien sûr ! Les sujets de digitalisation et plus largement d’innovation numérique sont intéressants et complémentaires pour réaliser cette transition écologique et énergétique. C’est notamment très concret dans le secteur ferroviaire afin d’améliorer le réseau, le rendre plus qualitatif et plus capacitaire. C’est-à-dire faire passer plus de trains de marchandises sur le réseau avec une meilleure ponctualité et une meilleure qualité de service.
Comment ces enjeux impactent les RH, les métiers ou les compétences ?
A. B. : Il y a un manque important de chauffeurs routiers dans le secteur du transport de marchandises. C’est un fait criant depuis de nombreuses années et qui est compliqué à régler. C’est dû notamment au manque d’attractivité du métier de chauffeur routier en France, et plus généralement en Europe. Il manquerait quelque 50 000 chauffeurs routiers actuellement rien qu’en France et plus de 500 000 en Europe.
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L’une des solutions est de développer les modes massifiés avec le fret ferroviaire et fluvial. Car un train transporte l’équivalent de quarante à cinquante camions. Via le train, il nous faut donc un chauffeur, là où il nous en faudrait une quarantaine par la route. Et sur une barge fluviale, c’est encore plus intéressant puisque sur une barge vous pouvez mettre l’équivalent de 150-200 camions.
La pénurie de talents n’est pas complètement réglée pour autant : on manque aussi de conducteurs de train ! La formation est un sujet important et il existe bien des parcours pour acquérir les compétences requises et se développer. Cependant, on constate qu’entre le nombre de personnes qui candidatent et le nombre de personne sortent de la formation en étant réellement chauffeur, il y a une déperdition encore trop élevée. Il faut améliorer cette formation, faire en sorte d’être plus attractif, et arriver à faire monter en compétence d’avantage de conducteurs de train.
Quelles sont les conséquences au niveau des opérations ?
A. B. : Le manque d’effectif peut causer des soucis au niveau de l’organisation des flux de marchandises. Pour y remédier, en France on fait souvent appel à des sociétés en pavillon étranger. Il y a un afflux toujours important de conducteurs en provenance de l’est de l’Europe.
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Quelles sont les perspectives de croissance et de développement du secteur de transport de marchandises ?
A. B. : La direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) a réalisé une étude qui prévoit une hausse de la demande en transport de marchandises de 2030 à 2050. Ce sera probablement différent avec plus de transport fluvial et ferroviaire que de route, mais on ne va pas aller vers moins de transport, c’est une certitude.
Sur le volet RH et compétences, avec les sujets de digitalisation et d’innovation, on peut se demander si les postes non pourvus ne seront pas remplacés par de l’intelligence artificielle, des robots, ou autres outils numériques. Aujourd’hui, c’est au stade de la réflexion, on n’a pas encore réellement de chiffre ou de tendance claire. Nous en sommes aux balbutiements de cette réflexion. Sauf dans le secteur ferroviaire où des outils digitaux se mettent en place. Par exemple, certains postes de terrain sont désormais remplacés par une commande centralisée du réseau. Et tout ceci est automatisé et digitalisé. Cela implique forcément de la réorganisation, de la restructuration en termes de compétences au sein de l’entreprise.