[Article publié le 31 mars 2022 - Mis à jour le 13 février 2023]
« Comment accélérer la mixité des instances dirigeantes ? » Afin d’apporter des éléments de réponses, le cabinet Alexander Hughes, spécialiste du recrutement de dirigeants, a réuni un panel d’exception lors d’une conférence organisée fin mars 2022, à Paris. Marie-Pierre Rixain, auteure de la loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, est revenue sur les points clés du texte législatif avant de laisser la place à un débat auquel ont pris part Bénédicte Bahier, DRH de Legrand, Rémi Boyer, DRH de Korian, Laurence Dilouya, Fondatrice d'Arrêt sur Image, Margaret Johnston-Clarke, Directrice Diversité-Equité-Inclusion Monde de L'Oréal, ainsi que Catherine Ladousse, co-fondatrice du Cercle Inter'Elles. On fait le point.
Parité des instances dirigeantes : une question de volonté du top management ?
La lutte pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes vient de franchir un nouveau palier avec la mise en vigueur le 1er mars 2022 de la loi Rixain. D’ici 2030, les entreprises de plus de 1 000 salariés devront compter 40 % de femmes parmi leurs cadres dirigeants et instances dirigeantes. Belle ambition. Mais comment s’y prendre pour atteindre ce nouveau quota ?
Le cabinet Alexander Hughes a convié plusieurs acteurs du monde de l’entreprise, pionniers dans la parité de leurs instances dirigeantes, à partager leurs retours d’expérience lors d’une conférence qui s’est tenue le 30 mars au Centre interallié à Paris.
Ainsi, Margaret Johnston-Clarke, Directrice Diversité-Equité-Inclusion Monde de L'Oréal, a rappelé que si le groupe de produits cosmétiques pouvait d’ores et déjà se targuer d’avoir 48 % de femmes au sein de son Top 300, ce taux ne dépassait pas les 17 % il y a tout juste quinze ans. Un résultat rendu possible, car « il y a eu une marge de progrès avec une action volontaire de la direction générale », a-t-elle expliqué.
Et d’ajouter que ce rééquilibrage a permis d’engager d’autres conversations sur l’égalité au sein de l’entreprise, aboutissant à l’adoption d’un congé maternité de 14 semaines minimum pris en charge par le groupe dans tous les pays où est implanté L’Oréal, mais aussi l’allongement du congé parentalité pour les hommes et les co-parents, et ce, bien avant l’adoption de la loi entrée en vigueur au 1er juillet 2021.
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Quotas ou pas quotas, le débat est ailleurs
Toutes les entreprises ne parviennent pas à devancer le législateur. Et force est de constater que ce sont surtout les politiques gouvernementales et les obligations légales qui influencent fortement la réflexion sur la mixité en entreprise. La Loi Copé-Zimmermann en est le parfait exemple. Désormais « la France est le deuxième pays au monde, après l’Islande, en termes de présence de femmes dans les comités d’administration », a déclaré Marie-Pierre Rixain, auteure de la loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle. « Aujourd’hui, notamment sur les entreprises du SB120, on est à 46 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises françaises », a-t-elle ajouté.
Mais qu’en est-il pour les comités de direction ?
« Malgré la promesse de ruissellement vers les instances dirigeantes, cela n’a pas été fait », déplore la députée. En effet, le taux de femmes y atteint à peine 22 %. Il était donc nécessaire selon elle de prévoir l’introduction de quotas de mixité dans les Comex des grandes entreprises, mesure adoptée en 2021. Une approche qui ne fait semble-t-il même plus débat : « Le principe des quotas a été tranché par la loi Copé-Zimmerman. A l’Assemblée nationale et au Sénat, le principe même du quota n’a pas été discuté par les différents groupes. On a eu des discussions sur le périmètre, les seuils, l’amende, le calendrier… mais pas de discussion sur le principe même du quota. La loi Copé-Zimmerman a montré que c’était un outil efficace. »
Si les quotas semblent une évidence, les secteurs d’activité les moins féminisés enregistrent déjà un retard.
Mixité des instances dirigeantes à l’horizon 2030
« Lorsque j’ai rejoint Legrand il y a quinze ans, il n’y avait aucune femme au conseil d’administration, aucune femme au comité de direction, raconte Bénédicte Bahier, DRH de Legrand. On avait 22 % de femmes parmi les cadres à l’échelle mondiale, et parmi les cadres dirigeants, c’était entre 10 et 15 %. Avec la loi Copé-Zimmermann, on a constaté une vraie avancée au niveau du conseil d’administration. Et nous, nous avons bien constaté un ruissellement au niveau du comité de direction. Le vrai point d’inflexion est survenu il y a quatre ans lorsque notre nouveau directeur général a exprimé le souhait d’aller plus loin, en fixant des objectifs : un tiers de femmes dans les cadres dirigeants à l’horizon 2030. »
« Nous avons bien progressé, atteignant 20 % de femmes parmi les cadres dirigeants, mais on se heurte au vivier », explique la DRH. Et d’ajouter : « On ne peut pas avoir des cadres dirigeants uniquement issues des fonctions commerciales ou marketing. On a aussi besoin d’ingénieures, de profils techniques et dans ces filières malheureusement les taux de féminisation sont très bas, de l’ordre de 15 %. »
Sur ce point, les entreprises ont été entendues. Certes, elles seront toutes logées à la même enseigne, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de quotas différents selon qu’elles évoluent dans un secteur féminisé ou moins féminisé. En revanche, pour Marie-Pierre Rixain il est évident qu’« à partir du moment où on impose des contraintes aux entreprises […] – même si j’espère que ce texte sera vu comme un levier de performances et de croissance –, on ne pouvait pas faire reposer uniquement sur les entreprises la question de la non-mixité ou de la féminisation de certains secteurs d’activité. » Le rôle joué par l’enseignement supérieur est un enjeu majeur, celui des opérateurs de l’État qui ont une place essentielle en matière de financement de l’économie, en sont un aussi.
En effet, « sur les entreprises qui sont financées par la Banque publique d’investissement, il y a seulement 2 % d’entreprises portées uniquement par des femmes, 79 % portées uniquement par des hommes et 18 % sont mixtes. L’une des explications […], c’est qu’on ne pose pas véritablement les mêmes questions aux femmes qu’aux hommes lorsqu’elles cherchent des financements. »
Calendrier social et agenda RH
Concrètement, quelles sont les prochaines étapes ?
« Probablement à partir de septembre [2022], les entreprises [de plus de 1 000 salariés] devront publier via leurs propres outils – site Internet ou autre – la répartition genrée parmi leurs cadres dirigeants et leurs instances dirigeantes », a expliqué la députée. Autre date importante : le 1er mars 2023 marquera une nouvelle étape dans l’accompagnement des entreprises vers plus d’égalité. Les organisations devront publier sur le site du ministère du Travail cette répartition genrée. Trois ans plus tard, la part des femmes devra atteindre 30 %, puis 40 % en 2028. Dès lors, les entreprises auront deux ans pour se mettre en conformité, auquel cas, elles risqueront une amende pouvant atteindre 1% de la masse salariale.
L’inégalité économique entre les femmes et les hommes reste une réalité : l’écart entre les revenus atteint 22 % en moyenne – un chiffre qui monte jusqu’à 42 % au moment de la retraite.
[Focus] Mixité en entreprise : la France, bonne élève D’après le Baromètre IFA (Institut français des administrateurs) – Ethics & Boards de la mixité des instances dirigeantes –, la France fait partie des leaders dans le monde. L’Hexagone enregistre une hausse de 5 % dans la féminisation des Comex et Codir ces dernières années, devant l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, et se place quasiment au même niveau que les Etats-Unis. La France est devancée par les pays nordiques. |